Djet - Compétition - 1963 l'année de tous les espoirs
Du Mans au Salon de l'Auto
L’année 1963 commence avec le retour tant attendu de Claude BONNET pour seconder son père.
Les deux Djet PS1 et PS3 alternent les démonstrations chez FAIRWAY à Paris ou chez DECROSE en Belgique avec les inévitables reconditionnements chez CHAPPE ou les modifications à CHAMPIGNY.
Il devient évident pour Claude et son père, que le succès remporté par cette voiture éclipse totalement la Le Mans mais qu’elle ne peut pas avoir un débouché commercial viable et rentable dans sa conception actuelle. La technique du châssis multitubulaire noyé dans le plastique est beaucoup trop délicate, de plus elle est complexe et onéreuse à fabriquer pour une voiture destinée à un usage non strictement réservé à la compétition.
A cette époque la grande majorité des voitures de compétition ne se déplaçait pas encore systématiquement sur des remorques ou dans des camions ! Bien que n’étant pas encore homologuées, elles se rendaient par la route sur les principaux circuits avec des immatriculations « Usine » ou avec des cartes grises provisoires correspondant à des modèles déjà homologués quand elles étaient engagées au nom de certains pilotes.
Fasciné dés sa sortie par cette voiture, j’essayais par tous les moyens de savoir auprès de René BONNET si il n’y avait pas une solution pour en acquérir une, ne serait-ce qu’en morceaux…et la réponse était toujours la même :
« Tu n’y penses pas…chaque fois que tu monteras sur un trottoir pour te garer, tu reviendras nous voir pour qu’on te refasse les réglages de suspension !… »
J’ai dû attendre 1966 pour avoir enfin le plaisir d’avoir mon Djet (voir photo ci-contre) ; il était bien abimé, c’est sûr, c’était un châssis poutre, le 1001, le premier à être homologué et il avait servi à tout faire à Champigny depuis sa naissance : Rallyes, Circuits, essais d’aménagements de carrosseries, de suspensions, d’équipement moteur et boite, d’échappements etc… la liste en serait trop longue à établir !
La recherche des tubulaires a continué à me passionner et les trois que j’ai récupérés depuis 1971 et tous les autres que j’ai retrouvés et identifiés par la suite dans des états souvent difficilement descriptibles, m’ont permis de me rendre compte de ce que voulait dire René BONNET par cette phrase dont je me souviens encore. Nous y reviendrons plus tard si on aborde les aspects spécifiques liés à l’entretien et à la restauration de ce type de voiture.
Jacques HUBERT doit encore une fois se remettre à la planche à dessin avec comme objectif d’avoir fini pour hier !
Djet- de la présérie au châssis poutre
Et le travail est important car c’est une nouvelle voiture qu’il faut concevoir, de la même forme bien sûr, ou peu s’en faut, mais fondamentalement différente.
Une caisse sans châssis est commandée à Chappe, elle sera livrée le 21 Janvier pour mettre au point un châssis poutre, technique bien connue depuis l’époque DB, conception qui se prête plus facilement à une fabrication industrielle.
Il adopte à l’arrière une suspension à triangles superposés, porte moyeu alu, doubles ressorts et doubles amortisseurs très courts, avec tarage spécial pour garder un plancher de coffre plat ; schéma inspiré des toutes nouvelles Jaguar E, évitant l’utilisation de combinés ressort-amortisseur encore inconnus dans les fabrications françaises courantes (ceux du tubulaire avaient été fait de toutes pièces à Champigny à partir d’amortisseurs standard).
A l’avant une traverse de R8 est modifiée (raccourcie de 9cm) pour retrouver les voies du Djet tubulaire.
Les roues vont passer en 15 pouces résolvant à la fois le problème du coût lié à la fonderie magnésium des roues de 13″ et le ré-usinage toujours délicat des plateaux en 6 goujons.
Elles permettent aussi l’adaptation directe des freins à disques, et des porte-moyeux standard de la R8. Avantage supplémentaire, le diamètre plus important des pneumatiques permet d’atteindre une vitesse de pointe intéressante sans pour autant disposer d’un moteur capable de tourner à 8000 t/mn !
Esthétiquement par contre, le passage aux roues tôle de 15″ fait ressortir un peu plus l’étroitesse des voies et impose l’agrandissement des passages de roues. Cette opération dégrade, à mon avis, l’homogénéité de la ligne en lui faisant perdre ce côté ‘petit prototype’ collé au bitume qui faisait une grande partie de son charme.
Un Djet châssis poutre équipé de jantes Magnésium 6 trous d’origine, vous aurez l’impression d’avoir changé de voiture !
A noter que pour le «Bureau d’études » de René Bonnet, les appellations étaient différentes à cette époque. Les tubulaires s’appelaient les « petites » (ce qui se comprend en voyant une photo du châssis ci-contre), les plans portaient la référence CRB1 pour Coach René Bonnet 1er modèle ; le châssis poutre adopta naturellement la référence suivante, c’est à dire CRB 2.
Au point de vue commercial, c’est Claude Bonnet, à ma connaissance, qui insista pour introduire une notion d’évolution dans le sens de la sophistication des voitures, un peu comme les anglais avec Stage 2 puis 3 ou plus et imposa la logique Djet I pour le modèle standard puis II pour la version Hémisphérique et III et IV pour les tubulaires avec hémisphérique ou double arbre.
Cette caisse sans châssis est livrée pratiquement en même temps que le modèle presque définitif des tubulaires (PS4). Les suivants seront référencés par Chappe à compter du repère 55 .(noté : Rep CG55 et suivants dans la suite de cette histoire).
Parallèlement à l’étude et la réalisation de ce nouveau Djet, « l’ingénieur » Jacques Hubert fait modifier la barquette pour satisfaire au nouveau règlement édicté par la CSI pour la catégorie « Sport » de l’année 63 . En plus des cotes minimales imposées pour le pare-brise et la définition de la hauteur dite protégée, ce règlement introduit des dimensions minimales pour les portières (50 x 30 cm).
Jacques Hubert opte pour une transformation de la barquette en coupé avec toit permettant, en utilisant le pare-brise du Djet, de satisfaire cette réglementation et de ne pas trop perdre en aérodynamique.
René Bonnet n’est pas le seul à être obligé de repenser sa voiture pour Le Mans . Chez Alpine, le superbe châssis dessiné par Len Terry sur les bases de la Lotus XXIII , est lui aussi à reprendre en toute hâte pour pouvoir disposer d’une voiture prête pour les essais du 7 Avril sur le circuit du Mans.
Les structures avant et arrière vont être conservées (triangulation, roues freins etc..); la liaison entre les deux structures sera assurée par un tube de gros diamètre permettant de concilier rigidité et dégagement suffisant pour les portières.
Le début de l’année 63 voit aussi l’arrivée dans l’équipe de Jean-Pierre BELTOISE qui effectue un début très prometteur sur Missile aux Routes du Nord où, même s’il est contraint à l’abandon, il se montre systématiquement plus rapide que les deux autres Missiles engagés par l’équipe RB.
Aux Etats Unis, Howard Hanna sur son PS2 doit abandonner à la 4ème heure aux 12 Heures Internationales de Floride courues le 23 Mars à Sebring, suite à une rupture du joint de culasse.
Faiblesse caractéristique des premiers moteurs GORDINI (déformation des boulons de fixation de culasse ?).
47° Targa Florio Mai 1963
Quatre tubulaires inscrits :
Rep CG 55 propriété de Fernand CARPENTIER dont il partagera le volant avec Gérard LAUREAU ,
Rep CG 57 propriété de BIGRAT associé pour l’occasion à BOBROWSKI qui a délaissé son Abarth
Equipées du double arbre 1000 cm3 prennent le départ dans la catégorie Prototype moins de 1000 cm3, les deux autres Rep CG 56 et 58 sont dans la catégorie supérieure soit de 1000 à 2000 cm3 et avec leur moteur hémisphérique 1100 cm3 elles vont se retrouver en concurrence directe avec des Porsche et Ferrari 2 litres.
Rep CG 56 propriété de Bruno BASINI qu’il conduira avec Jean VINATIER
Rep CG 58 propriété du fidèle client Roland CHARRIERE qui pour l’occasion aura comme pilote adjoint le « petit jeune » Jean-Pierre BELTOISE .
Targa Florio, un circuit de 72 Km
Après Sebring, la première épreuve de renommée mondiale en 1963 choisie par René Bonnet pour assurer le développement commercial de ses voitures sera la Targa Florio (ce qui lui a toujours paru indispensable de faire au niveau international) disputée sur le circuit des Madonies, en Sicile, le 5 Mai 1963.
Quatre tubulaires neufs vont être préparés pour cette épreuve. Seule nouveauté, l’apparition de persiennes sur les côtés du compartiment moteur mais pour l’instant orientées vers l’avant comme des prises d’air. A noter que, pour Sebring, Hanna avait, lui aussi, adapté des écopes en bas du caisson moteur, près du passage de roue.
La voiture de Bigrat (Rep CG 57) ne sera finie que quelques jours avant le départ de la Targa à cause d’un moteur posant des problèmes. Bigrat raconte qu’on continuait encore à faire des essais dans l’avenue du Général de Gaulle devant les ateliers de Champigny à 2 heures du matin le jour où il devait la récupérer pour l’envoyer en Sicile. Bigrat fit partir la remorque à vide chez un ami garagiste de Grasse et il attendit que sa voiture soit enfin prête pour descendre à son volant et retrouver la remorque le lendemain matin pour rattraper le temps perdu et continuer le voyage dans des conditions normales.
Autant dire que les essais avaient du être couronnés de succès car à cette époque il n’y avait pas beaucoup de kilomètres d’autoroute construits entre Paris et Grasse. C’est vrai qu’il n’y avait pas non plus de limitations de vitesse…
Sur place aux essais Claude Bobrowski fait le meilleur temps des Djet. Il connaissait déjà ce circuit de 72 km ayant auparavant couru la Targa avec Rosinsky sur Alfa. Mais peut-on vraiment connaître un circuit d’une telle longueur qui doit comporter quelque chose comme 800 virages tous d’apparence plus ou moins similaire mais dont certains constituent de vrais pièges soit qu’ils se referment brutalement, soit au contraire paraissent très difficiles et vous contraignent à trop ralentir alors que brusquement, ils s’élargissent et vous vous rendez compte que vous avez perdu tout votre élan et des paquets de secondes par la même occasion.
Il faut noter que Claude Bobrowski avait acheté une Abarth 1000 cm3 2ACT cette année là pour disputer le championnat du monde des moins de 1000 cm3. Mais il n’était pas très chaud pour disputer cette épreuve avec cette voiture estimant que sa tenue de route était proche de celle d’une patinette et c’est avec un certain soulagement qu’il avait accepté de partager le volant du Djet de Bigrat. Enfin, partager est un bien grand mot car Bigrat s’était engagé à ne pas effectuer plus d’un tour de circuit. ( pour éviter sans doute de faire chuter la moyenne ?)
Jean-Pierre Beltoise dont c’était la première compétition en circuit fermé essayait d’apprendre le parcours au volant d’une vieille Chevrolet. Il se rendait compte que la notion de trajectoire idéale comme il en avait l’habitude dans ses compétitions en moto ne lui était d’aucune utilité sur ce tracé.
Il fallait conduire à vue, se tenir au milieu de ces routes bombées dans les rares tronçons de ligne droite et se servir de la pente de la route dans chaque virage. En plus il faut se méfier en permanence des petites bornes en béton qui la bordent de chaque côté, un dérapage mal contrôlé et c’est la casse assurée.
Le Dimanche, deux heures avant la course, un invité de l’équipe (qui ?) chargé d’amener la voiture de Bigrat du Garage où elle avait été garée, jusqu’au circuit, va taper de l’avant gauche un parapet de pont en pierre. Commencera alors une mémorable partie de mécanique pour changer le radiateur et redonner avec force adhésifs une physionomie à peu près présentable à cette voiture pour prendre le départ.
La course ne sera pas une promenade de santé pour l’équipe René BONNET. C’est d’abord Roland Charriere numéro de course 152 qui est contraint à l’abandon support moteur cassé à l’issue du premier tour,, privant Jean-Pierre Beltoise d’une première confrontation internationale. Ces premiers supports étaient constitués de deux platines en tôle mince pliée et soudée, reliées entre elles par un simple tube de 25 CD4S contournant la poulie de sortie du vilebrequin, l’ensemble devant peser à peu prés 300 grammes avant peinture ! à comparer à la traverse moteur d’une R8 par exemple !
Gérard Laureau abandonnera lui aussi avec la voiture de Carpentier, numéro de course 142, son moteur 2 ACT ayant serré.
Claude Bobrowski sur la deuxième double arbre, numéro de course 138, est le mieux placé de l’équipe. Il devance facilement la Fiat Abarth de Hanrioud/Gauvin mais heurte une de ces fameuses bornes après un tête à queue sur la route détrempée par un violent orage qui s’abat sur le circuit alors qu’il parcourait son huitième tour.
Il faut dire qu’effectuer 70 km sous la pluie et sur ces routes est un véritable calvaire, surtout pour lui .Déjà, pendant 30 km, il avait dû se battre pour récupérer une bougie de rechange qui roulait sous ses pieds et qui pouvait à tout moment venir se coincer sous l’accélérateur.
Résultat : une roue cassée, une fusée et une suspension tordues (quid du châssis avant ?) et obligation d’abandonner la voiture sur le côté de la route où elle sera partiellement cannibalisée par des spectateurs amateurs de souvenirs gratuits et authentiques (roues, volant, et différentes bricoles…).
Persuadé d’avoir tout perdu, il rejoindra son hôtel pour se coucher et récupérer après une journée très mal commencée et terminée sans gloire. Il fut littéralement sorti de son lit par un journaliste venu le chercher pour qu’il aille recevoir la coupe récompensant la première place de la catégorie 1000 cm3. Car, malgré son abandon, il avait été quand même classé (en 20 ème position) mais surtout premier de sa catégorie.
Jean Vinatier et Bruno Basini, numéro de course 158, obtiennent le meilleur résultat au classement général en terminant à la 17 ème place et finissent troisième de la catégorie 1000 à 2000 cm3.
Ils affrontaient dans leur catégorie la Porsche 8 cylindres prototype N° 160 de Bonnier/Abate (230 CV) vainqueur de l’épreuve au classement général, la Ferrari 2 litres de Bandini/Scarfiotti et d’autres clients du même genre, y compris une Austin-Cooper bi-moteur confiée à Paul Frère et John Whitmore qui fut contrainte de finir la course sur un seul moteur après avoir usé avec bonheur un train de pneus tous les deux tours.
Jean Vinatier racontait dans quelles conditions inconcevables, il avait terminé l’épreuve !!
En effet, à la Targa, dès que le vainqueur de l’épreuve à parcouru ses 10 tours du circuit, les spectateurs considèrent que la course est terminée et de ce fait que la route est de nouveau ouverte, alors que de nombreux concurrents sont encore à essayer de maintenir leur classement et ne lâchent pas la pression.
C’est ainsi qu’il racontait avoir dû doubler dans son dernier tour plus d’une centaine de voitures, en avoir croisé une bonne dizaine et en plus avoir même été obligé de s’arrêter pour laisser manœuvrer un car du service d’ordre qui s’apprêtait à partir..
Claude Bobrowski n’était pas la seule victime de l’orage. La Ferrari 2 litres conduite alors par Mairesse venu en renfort de Bandini / Scarfiotti, ne menait que d’une trentaine de secondes devant la Porsche de Bonnier.
La pluie violente qui s’abattit sur le circuit fut catastrophique pour la Ferrari devenue particulièrement délicate à conduire sur cette route détrempée et Mairesse ne put éviter de partir en tête à queue à seulement 2 kilomètres de l’arrivée.
Il finit l’épreuve en traînant son capot ouvert derrière lui mais devait assister impuissant à la victoire de Bonnier qui remportait cette épreuve avec 12 secondes d’avance.